PODGORICA - Ceux qui suivent de près l'actualité montenegrine ont probablement remarqué avec quelle constance et à des intervalles très courts chaque politicien, intellectuel ou personnalité du Monténégro y va de son petit couplet sur les risques d'attaque de la république par l'Armée Yougoslave.
Il faut bien sûr replacer ces déclarations dans l'actuel contexte pré-électoral où la propagande pour empêcher la serbitude de gagner au Monténégro est le maître-mot dans les états-majors des partis comme le DPS, le SDP ou le LSCG. En rappelant la "menace serbe" au Monténégro, on veut créer un climat pour diaboliser le SNP (Socialisticka Narodna Partija - Parti Socialiste Populaire - pro-Milosevic) et le régime de Belgrade.
Si certaines actions de l'Armée Yougoslave au Monténégro (interceptions des navires étrangers, contrôles sur les routes,...) font partie d'une stratégie d'affirmation de sa présence sur le territoire de la république, on est encore très loin d'une quelconque vélléité de renversement des autorités montenegrines comme certains veulent le faire croire. Car il ne faut pas oublier que si la tête de l'Armée Yougoslave est essentiellement composée de Serbes, tout le reste de hiérarchie comprend un grand nombre de Montenegrins qui refuseront de tirer sur leur propre pays. À ce niveau-là, les hauts gradés de la VJ sont contraints de composer avec ce pluralisme interne contraignant. Sans compter bien sûr la menace de représailles de l'OTAN. Mais l'OTAN interviendra-elle pour sauver le Monténégro ? Rien n'est moins sûr...
D'autre part, du côté des autorités montenegrines, on déclare sans cesse que l'Armée Yougoslave est à moins une de planter son drapeau sur Podgorica et traquer implacablement les indépendantistes comme les forces bosno-serbes l'ont fait avec les Musulmans de Srebrenica et de Sarajevo. Tous les médias montenegrins dits indépendantistes relayent ces discours alarmistes. Et ne parlons pas des médias occidentaux qui retranscrivement bêtement. C'est absurde: si l'indépendance est acquise via un référendum avec une écrasante majorité, l'Armée acceptera le résultat du scrutin et se retirera de la république. Car il n'y a aucune raison valable pour que l'Armée Yougoslave déboule sur le Monténégro. Elle est au Monténégro parce que la Constitution fédérale le prévoit et parce que plus de la moitié de la population se déclare de culture serbe, même si des Montenegrins serbes votent pour le DPS de Djukanovic.
Miodrag Vukovic, le président du Comité Éxécutif du DPS (Demokratska Partija Socialista - Parti Démocratique des Socialistes) de Milo Djukanovic vient clairement d'annoncer que le référendum sur l'indépendance sera inévitable dans deux cas:
- si Milosevic est réélu président;
- si l'opposition serbe remporte les élections et ne reconnaît pas la nation montenegrine et le Monténégro comme un État à part entière et devant être considéré comme un partenaire égal avec la Serbie au sein de la Fédération.
- compte tenu des chances de Milosevic de remonter sur son piédestal;
- compte tenu de la position très claire de tous les partis serbes (au pouvoir et dans l'opposition) sur le statut du Monténégro ("le Monténégro et la Serbie de font qu'un");
c'est sûr que le référendum sur l'indépendance sera inévitable.
Miodrag Vukovic appuye sa thèse sur la nécessité, à présent impérieuse, d'organiser le référendum en se basant sur les chiffres des derniers sondages: 70% des Montenegrins ne sont pas satisfaits de l'actuelle situation constitutionnelle du Monténégro au sein de la Fédération tandis que 20% approuvent la politique de Milosevic. Dans les 70%, on compte environ 30% d'indépendantistes et 40% de modérés qui veulent garder un lien ÉQUITABLE avec la Serbie. "Si Milosevic reste au pouvoir, le référendum répondra à la question de savoir si les Montenegrins désirent prolonger leur destinée avec une dictature" a déclaré en substance Vukovic.
20% de pro-serbes + 40% de modérés = 60% de personnes qui rejettent l'idée de l'indépendance, c'est beaucoup.
Il faudra des règles solides pour le référendum.
D'abord, la question ne devra subir aucune ambiguïté, pas de chi-chi, pas d'hésitation. Le DPS devra cette fois-ci y aller franchement sans éviter de tourner autour du pot comme il le fait depuis des semestres en parlant de "prudence, éviter le mouvement fatal": "Voulez-vous que le Monténégro devienne un État indépendant?" Clair et net, on sera fixé sans ambiguïté.
Ensuite, la majorité devra être celle des 2/3, comme dans la plupart des pays qui votent des lois importantes et fondamentales. Car 50,1% de OUI ne seront pas suffisants compte tenu de la part très importante de Montenegrins de culture serbe. Avec 66,7% de OUI, on sera certains qu'un très grand nombre de Serbes auront aussi votés pour l'indépendance. Et Milosevic comme l'Armée Yougoslave seront obligés de "libérer" le Monténégro.
Jusqu'à aujourd'hui, le SNP s'est plutôt bien gardé de déclarations tonitruantes. Il fait un travail d'opposition. Objectivement parlant, la peur s'est surtout installée parmi les partis montenegrins qui mettent la gomme pour discréditer les poussées serbes au Monténégro. Mais plus la date du 24 septembre approche, plus les deux camps vont rivaliser d'arguments politiques bien tassés dans les gencives: le DPS argumentera pourquoi il ne faut pas participer aux élections, le SNP fera tout pour rameuter l'électorat.
Les déclarations quotidiennes des personnalités montenegrines doivent donc être soupesées et être bien expliquées dans le contexte pré-électoral où la propagande va faire rage. On tentera d'en faire la synthèse et de vous expliquer exactement de quoi il s'agit.