Branislav Milic - Montenegro / Archives / 2000.10.05

À la fin des années 80, de tous les pays de l'Est, la Yougoslavie était celui qui avait le plus de chances d'accrocher le wagon européen. Nous avons eu la chance de vivre dans un communisme moins violent que celui des pays du Comecon. Dans ces derniers, la jeunesse n'avait pas le droit de s'amuser, de regarder par-dessus les murs, à l'école on lui apprenait à haïr l'Occidental et à aimer le Camarade. Les gens étaient muselés, tués parce qu'ils osaient franchir un mur, emprisonnés parce qu'ils aspiraient à plus de liberté intellectuelle, artistique, politique,... Les Yougoslaves, eux, sont connus pour avoir gardé la joie de vivre, le cœur chaleureux et slave, la solidarité qui déplaçe des montagnes, l'"hospitalité yougoslave" était légendaire. Un récent voyage en Yougoslavie m'a sidéré: ces qualités se sont volatilisées ces dernières années. Cette "modernité" nous a été reconnue puisque nous avons été le seuls pays de la région à avoir organisé des Jeux Olympiques. Nous avions un niveau de vie deux fois supérieur à aujourd'hui, nous devions travailler deux fois moins qu'aujourd'hui,... Si les indicateurs économiques étaient bas, ils étaient toutefois encourageants et le potentiel était là.

Conditionnés par la rhétorique alarmiste du programme communiste, les Yougoslaves vivaient aussi comme des paranos. On apprenait aux écoliers à dessiner dans leurs cahiers des soldats, des gradés, des héros de la révolution communiste, des scènes de guerre. Une véritable bestialité, un lavage de cerveau dans la tête d'enfants innocents. On faisait croire aux Yougoslaves qu'ils étaient entourés, que tout le monde allait les envahir, les Bulgares, les Hongrois, les Allemands,... Il fallait entretenir une peur permanente, une attention de tous les instants. Underground. Comme cela se fait encore aujourd'hui en Corée du Nord, en Chine ou dans toute autre machination communiste; la même machine communiste qui a foutu en l'air la vie de mon père, intellectuel brillant et courageux à qui je dédie cette page avec les larmes aux yeux en regardant mon peuple se révolter contre la tyrannie.

L'ascension de Slobodan Milosevic n'était possible que grâce à ce conditionnement. Et on voit difficilement comment on aurait pu faire autrement puisque la majorité de la population l'a porté au sommet. Il devait être le numéro 1 yougoslave et rien n'aurait pu l'en empêcher. C'était l'espoir de la nation serbe, l'espoir de retrouver une fierté et une dignité maltraîtée pendant quarante ans par les communistes.

Mais quel est le bilan de l'ère Milosevic? Vous le connaissez aussi bien que moi, c'est un désastre à tous les niveaux. Quoi? Il a conservé l'indépendance de la Serbie face à l'impéralisme économique et politique? Ce sont des conneries! Nous avons montré notre indépendance, mais à quel prix? Il y a l'art et la manière. "Réussir" à conserver l'indépendance de la Serbie avec un système autocratique renforcé par le taux policier/habitants (1/100) le plus élevé au monde, par le détournement des richesses qui ne profite qu'à la famille, par le système répressif le plus féroce et le plus violent en Europe, par le mensonge, la manipulation et le vol. Non merci, l'indépendance sait aussi se vivre autrement. Les Serbes vont montrer qu'ils en sont capables si Kostunica est bien l'homme qu'il est.

L'esprit d'indépendance qui caractérise les Serbes a aussi ses limites! En l'an 2000, les gens doivent encore faire la file pour s'acheter de l'huile, meurent à domicile à petit feu de maladies graves car les hôpitaux n'ont plus le matériel nécessaire malgré l'aide de la diaspora, sont manipulés sur la corde sensible qu'est le nationalisme structurel (de nécessité) pour finalement découvrir qu'en fait nous avons été bombardés et pollués pour des milliers d'années.

À cet égard, je trouve les Clinton, Blair et autres Chirac d'un cynisme ignoble lorsqu'ils disent qu'ils sont avec le peuple serbe alors qu'ils ont fait de la Serbie un désastre sanitaire et écologique. Vous allez payer, cher. Et je fais confiance à Kostunica pour qu'il vous regarde de haut. Je me demande finalement si ça ne les emmerde pas que Milosevic ne soit plus au pouvoir comme l'est Saddam Hussein. Au moins, Milosevic leur permettait de justifier leur présence dans les Balkans et cette monstruosité qu'est le TPI. Maintenant ils vont devoir négocier avec un interlocuteur valable, ce qui était impossible jusqu'à ce jour.

Je me fiche pas mal de savoir si la CIA ou tout autre lobby a préparé le coup du Parlement et de la télévision depuis trois jours. Il y a des scandales bien plus graves dans nos sociétés occidentales. Tout ce que je sais, c'est que des gens de tout âge ont fait preuve d'un courage admirable en bravant l'interdit du régime Milosevic. Et si la police et l'armée ont finalement laissé faire, c'est que eux aussi savent très bien que cela ne peut plus continuer ainsi, on en a marre de vivre comme des parias, on ne supporte plus le regard triste de nos enfants qu'on ne peut rendre heureux. Si Milosevic devait sombrer (de toute façon, un jour ou l'autre, cela devait arriver), pourquoi devions-nous sombrer avec lui ?

J'ai trouvé cette photo sur le Net. Elle me fait penser au tableau "La liberté conduisant le peuple" de Delacroix: visages enthousiasmés et drapeaux fièrement brandis avec le soutien des forces de l'ordre. Je veux rendre hommage à ces centaines de personnes qui sont les vrais acteurs de ce miracle, sans guerre civile, compte tenu du fait que la Yougoslavie est probablement le pays le plus armé par tête d'habitant.

La tâche de Kostunica va maintenant être immense: démanteler la mafia politico/financière institutionnalisée qui a pourri la Serbie ces dix dernières années, reconstruire l'économie et rétablir le minimum sanitaire avec les fonds occidentaux en guise de réparation après les bombardements, entretenir la révolution démocratique qui est en train de secouer l'esprit serbe, combattre les vieux démons qui nous empêcheraient d'entrer dignement dans le trosième millénaire, mettre en garde contre les désillusions, réaffirmer le statut du Kosovo dans la Serbie, rétablir l'égalité stricte entre la Serbie et le Monténégro, susciter les initiatives citoyennes oubliées depuis belles lurettes, continuer à perpétuer la flamme serbe dans toute son acception car il ne faut pas oublier l'étymologie de "serbe": insoumis.

• 23h30: La DOS est certaine: Milosevic se serait caché avec le Général Pavkovic dans son bunker-villa construit ces dernières années dans la périphérie de la ville de Bor. D'autres sources prétendent que l'ex-président yougoslave a déjà quitté le pays mais c'est très peu probable. Tandis que Kostunica promet de laisser Milosevic et les membres de son parti libres, le quotidien Vijesti annoncera dans son édition de demain (6 octobre 2000) que les deux hommes sont en passe d'être arrêtés.

• 21h30: Les dirigeants de la DOS s'adressent à tout le pays via la télévision d'État RTS qu'ils contrôlent à présent et qu'ils ont renommée: "Nova (Nouvelle) Radio Televizija Srbija".

• 21h15: L'agence de presse d'État Tanjug parle de Vojislav Kostunica comme le nouveau Président yougoslave. D'après la DOS, elle ne serait pas intervenue à cet effet auprès de Tanjug. L'initiative vient de l'agence-même.

• 21h00: Des scènes de liesse entre des unités de l'Armée et la population sont diffusées en direct sur une télévision yougoslave. On répertorie une jeune femme de 25 ans morte par accident et quelques blessés par balle. Mais en général, rien de grave pour l'instant.

• 20h00: Tous les médias sont entre les mains de l'Opposition Démocratique de Serbie. Vojislav Kostunica, qui se considère à présent comme le Président légitime de la Yougoslavie, a convoqué les deux Chambres (des Citoyens et des Républiques) à 21h00. Kostunica demande à l'Armée Yougoslave de le reconnaître comme le Président élu. Si l'Armée reconnaît Kostunica, ce sera fini de Milosevic. Et il y a des chances qu'il soit déjà fini.

• 19h15: Vojislav Kostunica s'adresse à la foule et appelle au calme.

• 19h00: Le président américain Bill Clinton demande au Président russe Vladimir Putin de reconnaître la victoire de Vojislav Kostunica et la défaite définitive de Slobodan Milosevic. C'est ce qu'on appelle de l'ingérence première classe.

• 18h30: Les bâtiments de la télévision serbe RTS sont en feu et l'opposition serbe dit en avoir pris le contrôle et qu'elle va commencer à émettre son propre programme pour expliquer ce qui se passe réellement à Belgrade et ce qui s'est passé, réellement, ces dix dernières années.

• 17h00: lors d'un deuxième "assaut", des manifestants de l'opposition serbe ont réussi à entrer dans le Parlement. La DOS affirme qu'elle s'est emparée du Parlement et qu'aucun membre des forces de l'ordre ne s'y trouve. Des manifestants aux fenêtres du Parlement agitent des drapeaux yougoslaves.

• 16h00: des unités de la police se sont ralliées aux manifestants, et cela est confirmé par des images de CNN. Seule une poignée de véhicules de l'Armée sont stationnés non loin du Parlement mais restent en stand-by.

• 15h00: des manifestants anti-Milosevic ont essayé d'entrer dans le Parlement. Les policiers anti-émeutes ont repoussé les manifestants avec des gaz lacrymogènes mais ne sont pas intervenus davantage.