GUERRE MÉDIATIQUE

16.01.2001

BRUXELLES - Pas de répit pour les médias qui ont une fois de plus été mis à rude épreuve. Tantôt sont-ils accusés, tantôt ils accusent... En ce début d'année, où les festivités religieuses ont primé, on a eu un avant-goût de ce qui nous attend les semaines qui précéderont le référendum.

Le 7 janvier, c'est Noël orthodoxe. Et le 6, c'est la veillée. Partout dans le pays, le Métropolitanat du Monténégro et du Littoral (la branche montenegrine de l'Église Orthodoxe Serbe) a célébré l'événement avec la pose de la branche de chêne dans le feu. À Cetinje pourtant, la division entre le Métropolitanat et l'Église Orthodoxe Montenegrine (EOM) non reconnue était flagrante. Ceux qui considèrent encore que les Montenegrins sont des Serbes se sont retrouvés devant le Monastère de Cetinje (2.000 personnes) tandis que ceux qui nient l'appartenance du Monténégro à la culture serbe se sont retrouvés devant le palais du Roi Nicolas Ier.

Noël orthodoxe, c'est la tradition et depuis des siècles, on brûle la branche de chêne. L'EOM présentait plus qu'un événement religieux puisque la cérémonie a eu lieu sur un podium avec spotlights et tours de haut-parleurs. Il n'y a pas eu d'incident. Dans le courant de l'après-midi, l'EOM diffuse un communiqué selon lequel ses sympathisants étaient venus en nombre, plus précisément 12.000. Personnellement, j'en doute puisque je connais bien la place devant le palais du roi Nicolas Ier et je vois difficilement comment 12.000 personnes peuvent s'y trouver. S'ils étaient 5.000, ce serait plus réaliste. Le site Njegos.net, photos à l'appui, s'appuie sur un calcul simple pour dire que les supporters de l'EOM étaient à peine 4.000.

4.000, 5.000, 12.000,... tout cela n'a finalement que peu d'importance puisque c'est par dizaines de milliers que l'on a compté les Montenegrins serbes participer aux cérémonies du Métropolitanat dans tout le pays.

Cette année, le Métropolitanat a interdit à la télévision d'État montenegrine, au quotidien Pobjeda (proche des thèses nationalistes) ainsi qu'aux correspondants occidentaux (BBC, AFP,...), d'assister à sa célébration de Noël invoquant "le traitement inégal de la véritable situation au Monténégro, la place qu'accordent ces médias à l'EOM et aux attaques répétées contre l'Église serbe et contre la culture serbe du Monténégro". Slavenko Jovanovic, un des membres de la TVCG et haut fonctionnaire du DPS de Milo Djukanovic, a réagi à cette interdiction en qualifiant dans une diatribe le Métropolitanat de "secte politique qui vient de créer un précédent dans la chrétienté en interdisant aux médias publics du Monténégro de couvrir le Noël orthodoxe. Puisque le Métropolitanat ne reconnaît pas l'État dans lequel il exerce, alors sa place n'est pas ici". Cette déclaration a été reprise en Une par le quotidien Vijesti, proche du DPS de Milo Djukanovic, pour relater les célébrations de Noël. Ce texte a immédiatement été repris dans les forums Internet des indépendantistes nationalistes qui ne se sont pas privés pour commenter l'événement en supportant Slavenko Jovanovic avec plus de haïne encore contre les Serbes. Ce petit manège a duré trois jours. On pouvait même lire de la part d'un des contributeurs au forum que c'est la preuve qu'au sein du DPS, "l'EOM est considéré à sa juste valeur". Jusqu'au moment où Slavenko Jovanovic publia ce communiqué de presse, trois jours après sa déclaration initiale: "J'ai parlé en mon nom personnel. Respectant le Métropolitanat du Monténégro et du Littoral, sa grandeur, son histoire glorieuse et la place honorable qu'il occupe depuis toujours au Monténégro, j'ai voulu par ma critique protéger le Métropolitanat de lui-même." Autant vous dire tout de suite que dès que cette annonce a été faite, le sujet n'a plus suscité davantage de commentaires sur le forum indépendantiste...

Le Président Milo Djukanovic n'a pas commis cette année la même gaffe que l'année passée en souhaitant un joyeux Noël en particulier aux supporters de l'OEM. Cette année, il s'est contenté d'exprimer ses vœux "aux Orthodoxes"...

Rebelote pour la veille du Nouvel An serbe fêtée le 14 janvier. Près de 20.000 personnes se sont rassemblées sur la place principale de Podgorica pour célébrer l'événement. Le quotidien Vijesti n'a pas pu s'empêcher de déformer la réalité en publiant en une la photo d'un tchetnik (nationaliste serbe avec barbe et chapeau noir) pour faire croire que seuls les nationalistes grand-serbe étaient présents alors que de l'aveu même des indépendantistes, même s'il y avait quelques groupuscules isolés chantant "Ici c'est la Serbie", l'ambiance y était plutôt confraternelle, une sorte de fiesta.

LSCG: "Le DPS prépare une tromperie"

Puisque le NS (Narodna Stranka - Parti Populaire - serbe modéré) a quitté la coalition gouvernementale, et puisque le DPS (Demokratska Partija Socialista - Parti Démocratique des Socialistes) et le SDP (Socijaldemokratska Partija - Parti Social Démocrate - indépendantiste) n'ont plus de majorité pour gouverner, et puisqu'il leur suffit de faire appel au LSCG (Liberalni Savez Crne Gore - Union Libérale du Monténégro - indépendantiste) pour voter la loi sur le référendum, pourquoi le DPS veut-il des élections? Pourquoi le DPS prendrait-il le risque de les perdre au profit des partis "pro-serbes" alors que l'indépendance est à portée de main via référendum? C'est en substance ce qu'a déclaré Vesna Perovic, la porte-parole du parti indépendantiste qui ajoute: "Nous constatons que le DPS s'entend mieux avec le SNP qu'avec les Libéraux alors qu'il y a quelques mois, le DPS avait clamé sur tous les toits qu'il se tournerait vers le LSCG si le NS quitte la coalition. Le DPS ne va pas aussi progressivement et rapidement vers l'indépendance comme leur propagande le laisse sous-entendre. Il y a de la tromperie dans l'air...".

Effectivement, le DPS a choisi de discuter avec ce qu'il appelle "la principale force d'opposition du pays", le SNP (Socialisticka Narodna Partija - Parti Socialiste Populaire - serbe) qui est en fait le second parti dans la république. Grosso modo, le DPS veut des élections puis le référendum. Les partis ne sont pas encore d'accord sur les dates mais c'est le scénario le plus probable et même les partis serbes ont marqué leur accord.

Le SDP, le partenaire du DPS dans ce qui reste de la coalition, voit ses élections législatives anticipées d'un très mauvais œil — le risque est quand même grand de se retrouver minoritaire — et veut directement le référendum et seulement après les élections. Mais si le calendrier élections/référendum est adopté, le SDP a déclaré qu'il respectera ce choix.

Après le gouvernement montenegrin qui a proposé sa vision des relations entre les deux républiques, c'était au tour de Vojislav Kostunica, le Président fédéral, de proposer son plan. C'est pratiquement à l'unanimité que les partis, institutions et groupes de pression montenegrins l'ont rejeté en considérant que c'était le retour à la situation de 1992 lorsque la RFY fut créée. Certains estiment même que le plan de Kostunica est pire qu'à l'époque de Milosevic. Le plan contient de forts accents fédéraux avec les finances, la défense, le contrôle des frontières et la politique étrangère qui seront de la compétence exclusive du pouvoir central. Seuls les partis serbes comme le NS et le SNP ont jugé le plan acceptable. Une des différences fondamentales réside dans la politique étrangère. Le Monténégro se cherche une légitimité internationale avec un siège à l'ONU, la Serbie ne conçoit cette politique que de manière commune.

Le Ministère Américain des Affaires Étrangères a déclaré que si le Monténégro déclarait son indépendance de manière unilatérale, toute aide américaine, tant financière que diplomatique, serait réduite de manière significative. La Serbie et le Monténégro sont condamnés à s'entendre.

Mais Momcilo Trajkovic, le représentant des Serbes du Kosovo, a rappelé lors de son récent voyage au Monténégro que si celui-ci devenait indépendant, l'indépendance du Kosovo ne deviendrait qu'une formalité comme le prévoit la Résolution 1244 de l'ONU. Trajkovic était venu entendre les arguments du Président Djukanovic et recevoir le soutien du SNP et du NS.

Un écran de fumée de moins en moins opaque

Otaviano Del Turko, le Ministre italien des Finances, n'y est pas allé de main morte: "Le Président Milo Djukanovic est étroitement lié à Albino Prudentino, le mafieux italien notoire. Sans Prudentino il n'y aurait pas eu de Djukanovic, et sans Djukanovic il n'y aurait pas eu de Prudentino qui ne serait pas devenu le puissant et riche trafiquant de la Méditerranée. Prudentino, avant d'être arrêté, ne contrôlait pas seulement le trafic de cigarettes dans le Sud de l'Adriatique mais aussi les armes, la drogue et les humains, femmes et enfants. Si la famille Prudentino vide son sac, il y aura un tremblement de terre au Monténégro. Lorsque Djukanovic demandait à l'Union Européenne de lever pour le Monténégro l'embargo qui frappait la RFY, les Européens lui ont demandé d'arrêter ses activités mafieuses. Il s'exécuta et l'embargo fut levé uniquement pour le Monténégro. Cela explique aussi pourquoi Prudentino a fait glisser sa zone d'activité vers les côtes grecques... Cependant, les trafics de cigarettes continuent aujourd'hui et le port de Bar ne désemplit pas de cargaisons de cigarettes de contrebande."

Le Ministre italien a également révélé que des multinationales du tabac très connues, comme Raynolds et Philip Morris, ont sciemment participé à ce trafic en Méditerranée puisqu'elles savaient quel truand Prudentino était.

Les activités mafieuses du cercle présidentiel sont des secrets de Polichinelle. Certains reconnaissent même qu'à l'époque des plus dures sanctions contre la Yougoslavie dans la première moitié des années 90, les trafics divers ont permis au Monténégro de payer, entre autres, les salaires et les pensions. On peut aussi s'interroger sur le fait que ces déclarations connaissent un retentissement européen juste avant les élections anticipées et le référendum. On peut aussi s'interroger pourquoi les médias proches du gouvernement n'ont pas vraiment parlé de l'affaire au premier jour mais ont rapidement publié le deuxième jour le démenti de Branko Lukovac, le Ministre montenegrin des Affaires Étrangères.

Seule réponse en guise de contrepoids médiatique que les médias pro-Djukaonovic, à savoir Vijesti et l'agence de presse Montena-Faks, ont trouvé à cette affaire était d'inventer l'histoire selon laquelle cette "désinformation", qui a commencée en Italie, est "selon une source anonyme du cabinet de Vojislav Kostunica, dirigée par une section spéciale du cabinet présidentiel, section spécialement mise en place pour renverser Djukanovic". Ce qui est bien sûr complètement absurde...

Otaviano Del Turko a aussi déclaré pouvoir mettre à la disposition des médias les enregistrements des conversations téléphoniques entre Djukanovic et Prudentino de même que les fax échangés entre les deux hommes.

Si Milo Djukanovic perd les élections, il ne les aura pas perdues à cause de la Serbie ou à cause d'une campagne de désinformation... mais à cause de lui-même. Il a déçu les indépendantistes (qui étaient là quand il avait besoin d'eux) en retardant sans cesse le référendum. Après la chute de Milosevic, c'était trop tard... Il a déçu les modérés par son revirement philosophique et stratégique par opportunisme. Il aura donc perdu lui-même. Mais il ne faut pas trop tirer sur la comète même si des signes indiquent qu'il est désavoué à l'intérieur même de son propre DPS.

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